Comment Mai-Thu Perret a-t-elle vu évoluer la scène artistique genevoise
lle est entrée dans l’art à la grande époque des squats. Galeries, marché, Quartier des Bains… Comment Mai-Thu Perret a-t-elle vu évoluer la scène artistique genevoise.
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Elle est entrée dans l’art à la grande époque des squats. Galeries, marché, Quartier des Bains… Comment Mai-Thu Perret a-t-elle vu évoluer la scène artistique genevoise.
Au début de votre carrière d’artiste, dans les années 90, à quoi ressemblait la scène genevoise? Et comment y êtes-vous entrée?
J’y suis arrivée à travers les squats. En revenant de Londres où j’étudiais, j’ai retrouvé à Genève des amis artistes ou qui étudiaient l’art. Je faisais passablement la fête et croisais beaucoup de monde dans les raves. C’est là que j’ai rencontré Sidney Stucki, Fabrice Gygi, Elena Montesinos, Vanessa Bianchini. Sans oublier Vidya Gastaldon et Jean-Michel Wicker dont j’étais proche. C’est avec tous ces gens que j’ai commencé à m’intéresser à l’art contemporain, à aller au MAMCO, à voir les expositions du Centre d’Art Contemporain et de Low Bet, l’espace créé par l’artiste Laurence Pittet et qui se trouvait en face du MAMCO et où, ensuite, j’ai eu un atelier. Il y avait aussi La Régie de Sidney Stucki et plus tard Darse que tenait Fabrice Gygi. Bref, Genève grouillait de micro-galeries et c’était très excitant.
On parle des années 90. À Genève, la culture squat battait alors son plein. Ce dont profitaient les artistes et, partant, l’art contemporain.
C’est vrai, même si aucun de ces lieux n’était vraiment des galeries commerciales dans le sens classique du terme.
C’était plus facile de trouver un espace pour monter un projet. Rhino, l’Ilôt 13, Lissignol, la Maison de thé… Chaque squat avait son espace d’art et de la place pour des ateliers que les artistes occupaient sans payer de loyer. Tout était simple et autogéré. On n’avait pas besoin de réviser des comptes, de constituer des dossiers pour demander des fonds ou décrocher une subvention. L’esprit était underground, très communautaire, les choses se faisaient de personne à personne.
Et puis la politique genevoise a décidé de mettre fin à la tolérance des squats. Et tout s’est terminé.
Le principe des espaces indépendants est revenu depuis quelques années, mais en moins punk, en plus organisé. Pas mal de mes étudiants de la HEAD ouvrent des artists run spaces. Ils s’entendent avec le propriétaire d’un immeuble en cours de rénovation ou se font allouer des fonds. Ça ne représente pas des sommes énormes, mais cela permet de réaliser des projets.
Il faut en cela reconnaître que la Suisse offre beaucoup de soutiens qui compensent, un peu, un coût de la vie de plus en plus élevé. Je pense aussi à la rémunération des artistes qui est désormais obligatoire pour chaque espace d’art subventionné. C’est une très bonne chose, mais cela oblige aussi les lieux à demander des augmentations de subventions dans un climat économique très tendu. Ce qui change complètement l’équilibre.
La HEAD justement. A-t-elle participé à redynamiser une scène qui s’est retrouvée un peu atone aux alentours de 2010?
Elle a sans doute internationalisé la scène. Elle a attiré des étudiants venus de l’étranger dont certains sont restés. Elle a aussi augmenté ses effectifs, notamment avec des professeurs aux profils plus internationaux. Des lieux indépendants comme Cherish ou HIT ont également été de sacrés catalyseurs.
Vous-même, vous vous êtes occupée de Forde, l’espace d’art de l’Usine.
C’était au moment de mon retour de New York où j’avais assisté l’artiste John Tremblay. J’avais aussi trouvé un job de stagiaire chez Susan Cianciolo à travers la revue Purple pour qui j’écrivais des textes. Elle créait une mode portée par des artistes et dont les défilés se déroulaient dans des galeries.
Après deux ans, j’ai décidé de rentrer pour me présenter à la direction de Forde avec Fabrice Stroun. Nous succédions alors à Klat. Après une année et demie, je suis repartie à New York pour suivre le Whitney Program avant de vivre un temps à Berlin. Et de finalement m’installer définitivement à Genève.
En tant qu’artiste, vous avez connu les débuts du Quartier des Bains. Comment l’avez-vous vu évoluer?
Il y a eu une très bonne période dans les années 2010 avec les ouvertures de Ribordy Contemporary, d’Evergreen, de Xippas, des Marbriers et de Truth and Consequences, la galerie de Paul-Aymar Mourgue d’Algue. Il se passait beaucoup de choses dans une ambiance assez festive.
Sauf que Xippas mis à part, tous ces lieux ont depuis fermé.
Oui malheureusement, et puis d’autres les ont remplacés comme lange + pult, Olivier Varenne, Lovay Fine Arts, Mezzanin, Wilde. Mais de facto, le marché international se trouve à Zurich, voire à Bâle, pas ici. Les collectionneurs genevois constituent un monde insulaire. Ce sont des gens qui se connaissent très bien et qui peuvent aider les artistes à vivre de leur travail. Le problème est maintenant de savoir comment renouveler et rajeunir ce milieu.
Vous qui vivez ici et avez dirigé Forde, vous n’avez pourtant jamais eu de galerie à Genève.
En effet. J’ai exposé chez Blondeau & Cie, qui sont plutôt des marchands, et chez Mezzanin, mais qui ne représente pas d’artistes. En Suisse, j’étais chez Francesca Pia dont l’avenir à Zurich, où les loyers sont très chers, reste incertain. On vit peut-être aussi dans une époque où le modèle de la galerie est en train de s’essouffler.
À Genève, le chantier du Bâtiment d’art contemporain oblige les musées et centre d’art qui y travaillaient à se déplacer ailleurs dans la ville. Cela permettra-t-il à l’art d’investir d’autres quartiers que celui des Bains?
Je l’espère. Le Quartier des Bains souffre d’un petit côté répétitif. Ce sont toujours les mêmes endroits; seuls les galeristes ont changé. Élargir le champ serait une bonne manière de redonner de la respiration et de l’inspiration.
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Emmanuel Grandjean
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Alexia Maggioni
Balthazar Lovay fonde la galerie Lovay Fine Arts à Genève en 2022.
Balthazar Lovay fonde la galerie Lovay Fine Arts à Genève en 2022. Il nous raconte ici son parcours et comment il a vu la scène genevoise et le Quartier des Bains évoluer.
Balthazar Lovay fonde la galerie Lovay Fine Arts à Genève en 2022. Il nous raconte ici son parcours et comment il a vu la scène genevoise et le Quartier des Bains évoluer.
Vous avez commencé votre carrière comme artiste, avant de devenir curateur et enfin galeriste. Pourquoi être passé de l’institution au marché?
Pour moi, c’est un parcours logique. Lorsque je dirigeais le centre d’art Fri Art à Fribourg, je passais six mois, voire parfois un an, à travailler avec un artiste. Et cette relation magnifique s’arrêtait une fois l’exposition terminée. J’avais envie de prolonger ce rapport en travaillant pour représenter sur le long terme les artistes qui me semblent importants. Et puis à un niveau plus personnel, galeriste me permettait de trouver une forme d’autonomie aussi bien financière que professionnelle.
Mais avec une prise de risque beaucoup plus grande, non?
Certes, mais un risque plus ou moins mesuré, même s’il faut être vraiment casse-cou pour faire ce métier. Lorsqu’on démarre de rien, on prend conscience de chaque franc investi et reçu. Cette position mobilise énormément, entre d’un bout de la chaîne les artistes et de l’autre le public et les collectionneurs. Le travail entrepreneurial, invisible aux yeux des visiteurs, est énorme. C’est à la fois très excitant et très intense.
Ouvrir à Genève a toujours été dans vos plans?
Disons que ma vie se trouve ici et que je connais les gens. C’est une manière de démarrer. Mais rien n’est jamais gravé dans le marbre.
Comment définiriez-vous votre ligne?
Chercher à avoir le plus fort impact possible pour les artistes que je représente et les soutenir dans leur carrière sur le long terme. Et que cet impact se répercute sur mes clients et mes collectionneurs, afin de pouvoir leur dire que les artistes qu’ils achètent chez moi ne se retrouvent pas seulement sur des murs comme objets décoratifs, mais aussi dans des musées et des livres d’art. Je défends des artistes que l’on ne retrouve pas encore dans d’autres galeries et qui sont des exclusivités.
Je pense à Lucia di Luciano, ou Suzanne Santoro (sujet de notre exposition de janvier 2025), à la longue carrière, mais qui sont des découvertes historiques, et dont les travaux n’ont pas eu la visibilité nécessaire à un moment donné. Mais aussi à Pascal Vonlanthen, un artiste qui aurait été classé dans l’Art brut, une catégorisation que je trouve peu fertile, et qui a toute sa voix dans l’art contemporain.
Je me positionne comme la galerie qui représente officiellement ces artistes à l’international, depuis Genève, en dévoilant leurs corpus peu connus. Alors oui, j’ai aussi monté une exposition de John Armleder, mais en présentant des œuvres de jeunesse qui n’avaient pratiquement jamais été montrées.
Représentez-vous également des artistes plus jeunes?
Je présente en effet Marie Gyger une jeune artiste suisse, ainsi que Michèle Graf et Selina Grüter, un duo zurichois qui vit à New York depuis six ans. En général, ce sont des artistes qui cherchent une forme d’innovation par rapport à l’histoire de l’art et qui engagent une réflexion profonde sur l’art et notre temps. J’ai présenté Graf et Grüter à Liste 2024. Elles ont participé à la 15e Baltic Triennale et présentent en ce moment une exposition importante à la Halle für Kunst de Lüneburg en Allemagne.
Vous avez ouvert Lovay Fine Arts dans le Quartier des Bains en septembre 2022. Comment avez-vous vu le quartier se développer?
En fait, je suis arrivé trois fois dans le quartier. La première, c’était en 2001. À l’époque, j’étais l’assistant de Lionel Bovier qui venait de lancer JRP Éditions, d’abord dans un garage des Pâquis et enfin dans une arcade de la rue des Bains. J’y suis ensuite revenu de 2004 à 2012 avec Fabrice Stroun lorsque nous avons créé Hard Hat qui était un éditeur de multiples et une galerie d’exposition pour de jeunes artistes. Et me revoilà, 10 ans plus tard. Alors oui, l’ambiance a beaucoup changé.
En 2005, les vernissages du Quartier des Bains réunissaient environ 2000 personnes. Il y avait beaucoup plus de galeries et la dynamique entre le marché de l’art, les institutions et la scène locale alternative étaient bien plus imbriquées. Surtout, le Quartier des Bains bénéficiait d’un important sponsor qui permettait le fameux prix des drapeaux qui prenaient la forme de bannières d’artistes accrochées dans tout le quartier et jusque sur le pont du Mont-Blanc. Cela créait un fort appel d’air médiatique et populaire!
Vingt ans plus tard, à Genève, il y a beaucoup de très bons restaurants chers et moins de créativité dans le milieu de l’art. À nous d’y remédier!
Comment voyez-vous son évolution ces prochaines années?
Aujourd’hui, les galeries genevoises sont dispersées dans la ville. Je pense qu’il faudra repenser la notion de Quartier des Bains et revoir la dynamique entre tous les quartiers dans lesquels il y a des galeries.
La rénovation du MAMCO, du Centre d’art contemporain et du Centre de la photographie doit être vue comme une opportunité. Ces trois lieux vont migrer de quartiers à d’autres de manière ponctuelle dans le courant des cinq prochaines années. Ce sera l’occasion de relancer une nouvelle dynamique de l’art dans la ville. Mais aussi de repenser la relation entre les galeries et les musées, les galeries et les artistes.
Quant à remettre Genève sur la carte internationale du marché, il nous manque des galeries locomotives pour engager ce mouvement, une ou deux galeries genevoises qui prendraient des envergures internationales.
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Emmanuel Grandjean
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